La galaxie M82 semble constituer une oasis de matière flamboyante que tout astronome s’est pris un jour à contempler. Prenons quelques instants pour nous pencher sur cette galaxie fascinante dite à sursaut de formation d’étoiles…
Au programme
Portrait de M82 – Starburst Galaxy – Protocole d’acquisition du spectre – Spectre de M82 – Calcul de sa distance
Portrait de M82
La galaxie M82, communément appelée galaxie du Cigare siège au sein de la Constellation de la Grande Ourse. C’est une cible bien connue des astrophotographes pour sa forme caractéristique, mais également pour la richesse des informations qu’elle révèle. Mais avant d’aller plus loin, mettons un visage sur cette galaxie et précisons sa position.
Coordonnées de M82 (NGC 3034)
Ascension droite : 9h55m 52,7s
Déclinaison : 69° 40′ 46″
Constellation : Grande Ourse
Magnitude apparente : 8,6
Starburst Galaxy
Comme précisé en introduction, c’est une galaxie dite à sursauts de formation d’étoiles (starburst galaxy). Cela signifie qu’elle a un taux de formation d’étoiles bien plus élevée que celui de la majorité galaxies. Ces sursauts, même s’ils ne sont finis dans le temps, sont dus à des interactions ou des collisions avec des galaxies voisines 1,2, en l’occurrence ici M81, sa voisine.
Inutile de préciser qu’au sein de ce genre de « starburst », les conditions qui permettent de donner vie à des étoiles sont assez intenses, pour ne pas dire… extrêmes ! Mais c’est aussi pour cela que c’est une cible intéressante à photographier. Notamment en infrarouge afin d’immortaliser l’hydrogène, véritable moteur de croissance des étoiles qui y naissent 3.
Photographie de M82 par Hubble
Une image mosaïque très connue de plusieurs photographies de M82 prises par le télescope Hubble dans différentes longueurs d’onde en 2006.
Le rouge dans l’image représente l’hydrogène et la lumière infrarouge qui indique une activité de formations d’étoiles, le fameux starburst. La couleur bleue/jaunâtre représente les longueurs d’onde de la lumière visible. 4
Pour ajouter un peu de temporalité, voici une photo que j’ai réalisée avec un télescope Officina Stellare ProRC 700 à distance en Espagne grâce au service Telescope.live5. Cliquez sur les images pour les afficher en plus grand dans un nouvel onglet.
Analyse spectrale de M82
Voici les informations concernant le protocole d’acquisition du spectre de la galaxie M82, identifiée également dans le New General Catalogue of Nebulae and Clusters of Stars par l’identifiant NGC 3034 6.
Protocole d’acquisition
Date et heure d’acquisition | 2020-04-04T20:53:09 |
Télescope | Celestron SC 800 EdgeHD – 203/2000 Réducteur de focale f/6.3 |
Caméra d’acquisition | Atik 460Ex à -20°C Binning 1×1 Autoguidage : Lodestar |
Logiciel d’acquisition | KStars – EKOS – INDI7 |
Spectroscope | Alpy 600 Fente de 23µm |
Images et calibration | 6 poses de 600 secondes 7 images de calibration ArNe de 15s 7 Flats de 3 secondes 7 Darks de 600 secondes 3 Fonds de ciel de 600 secondes 7 Offsets |
Logiciel de réduction des données | ISIS v5.9.78 |
Résolution | RMS : 0.11 Résolution : 526 |
L’ensemble de ces acquisitions ont été faites avec la suite logicielle KStars /EKOS / INDI7. Pour plus d’informations sur ces logiciels, un descriptif d’utilisation dans le cadre de la spectroscopie est disponible sur cet article : Spectre de Phecda.
Voici une capture d’écran de la session d’observation, cliquez sur les images pour les afficher en plus grand dans un nouvel onglet.
L’étoile de référence utilisée pour la réponse instrumentale est HD 89343, vous trouverez également plus de détail sur la mise en oeuvre de la réponse instrumentale sur les articles précédents, notamment ici : Spectre de Dubhe.
Voici les informations de cette étoile :
Noms : HD89343 9
Type Spectral : A7Vn10, 11
Magnitude Visuelle : 5,9
Spectre 2D brut acquit de M82
Spectre 1D interactif de la galaxie M82 après traitement
Le spectre interactif ci-dessus a été généré avec l’outil de génération de spectres Specbok que j’ai mis en ligne récemment à cette adresse : https://specbok.stellartrip.net/. Une fois le spectre produit par l’outil, il est très facile de l’intégrer dans une page web, simplement en copiant le code fournit.
Mais revenons à notre galaxie ! En zoomant un peu, on remarque notamment sur le spectre ci-dessus que les raies de l’hydrogène visibles sont décalées par rapport aux raies de références. Ce décalage spectral est dû au fait que la galaxie s’éloigne de nous. J’y reviendrai un peu plus loin, jetons d’abord un oeil à ce que l’on trouve au sein de M82.
Analyse chimique
Voici le détail des raies d’émission et leurs valeurs correspondantes.
Voici les éléments qui sont annotés sur le spectre :
Les deux raies interdites de l’azote [NII] à 6583 Å théorique. Ces raies sont dites « interdites » notamment car on ne peut pas les reproduire en laboratoire sur terre du fait de leur existence dans des milieux à très faibles densité de gaz.12,13,14
Les deux raies interdites du soufre [SII] à 6716 et 6733 Å théorique.12
Les raies de Balmer assez intenses, précisant l’hydrogène ionisé des régions HII, que l’on distingue clairement avec la raie Hα à 6562 Å , mais également avec la présence de H𝛃 à 4861 Å théorique.15
On remarquera aussi une quasi absence de raies en absorption, hormis le doublet du Sodium NaI, assez discret à 5889/96 théorique. Ce dernier est probablement d’origine interstellaire, principalement absorbé par M82.12
On retrouve ainsi plusieurs caractéristiques typiques des galaxie dites « Starburst’, qui sont assez visibles parce que la fente est positionné sur le coeur de la galaxie qui est plus dense. On constate ainsi clairement les raies en émissions du gaz qui est excité par ces jeunes étoiles chaudes.12
À l’intérieur d’un starburst règne un environnement plutôt extrême. Les grandes quantités de gaz signifient que des étoiles très massives se forment. Ces jeunes étoiles chaudes ionisent le gaz (principalement de l’hydrogène) autour d’elles, créant ainsi des régions HII. Les groupes d’étoiles très chaudes sont des associations OB. Ces étoiles très lumineuses finiront probablement leur vie en tant que supernovae.
Après l’explosion de la supernova, les matériaux éjectés prennent de l’expansion, devenant ainsi des rémanents de supernova.1.
Wikipedia.
Ces matériaux éjectés après l’explosion de la supernova sont ainsi ceux visibles sur les photos, au-dessus et en-dessous du disque de la galaxie ! Je vous la remets, juste pour le plaisir des yeux.
Liste détaillée des raies présentes sur le spectre ci-dessus
Éléments chimiques | Longueurs d’onde mesurées (Å) | Longueurs d’onde théoriques(Å) |
H𝛃 | 4685,64 | 4861,33 |
NaI | 5893/5903 | 5889/5896 |
Hα | 6567,89 | 6562,82 |
[NII] | 6588,49 | 6583,6 |
[SII] | 6720/6735 | 6716 / 6733 |
Comme indiqué précédemment, on remarque un décalage conséquent des raies de 4 à 5 Å, ce dernier va nous permettre d’estimer la distance à laquelle la galaxie se trouve par rapport à nous.
Estimation de la distance
L’écart que l’on observe ici sur les différentes raies en émission est en effet dû à l’éloignement de la galaxie par rapport à nous, ce qui génère un décalage spectral des raies. Ce « shift » des raies est initié par l’ effet Doppler-Fizeau déjà présenté rapidement dans un précédent article, par ici : Spectre de Dubhe. Alors, petite page d’interlude de physique… Au sein de la section public de l’Observatoire De Paris, on retrouve cette explication :
Effet Doppler
« A l’exception de la grande galaxie d’Andromède et de quelques galaxies naines proches, toutes les galaxies s’éloignent de nous. Pour mesurer les distances des galaxies, les astronomes utilisent la relation établie par l’astronome américain Edwin Hubble, qui montre que la vitesse v d’éloignement des galaxies est proportionnelle à leurs distances, D, selon v=H0D, ou H0 est la constante de Hubble.
Plus une galaxie est lointaine, plus vite elle s’éloigne de nous. Son émission lumineuse est alors affectée par sa vitesse d’éloignement, à cause de l’effet Doppler. Ce même effet s’applique aux ondes acoustiques : lorsqu’une ambulance se rapproche de nous, la longueur d’onde acoustique est diminuée (le son devient plus aigu), et lorsqu’elle s’éloigne, elle s’agrandit (le son devient plus grave). De même, la lumière émise par une galaxie s’éloignant de nous sera décalée vers le rouge (augmentation de la longueur d’onde) avec un décalage spectral z. »16
F. Hammer, Observatoire de Paris
Ainsi, grâce au décalage que l’on peut mesurer et l’équation Doppler-Fizeau citée au dessus (V = H0.D ), nous allons pouvoir calculer la vitesse radiale de la galaxie, autrement dit son éloignement par rapport à nous et estimer sa distance. Détaillons.
Il est relativement difficile de visualiser la valeur de la position précise des raies. Ainsi, comme les raies sont des fonctions gaussiennes 18, des logiciels tels que celui utilisé pour le traitement (ISIS8) intègrent une fonction qui permet de donner la largeur à mi-hauteur des raies, encore appelé FWHM (full width at half maximum). Ces positions plus précises vont donc nous permettre maintenant de calculer le décalage spectral z, avec la relation suivante :
En se basant sur les études particulièrement intéressantes telles que « Mesurer le redshift des galaxies » sur le site de Shelyak Instruments 19, 28, et les documentations disponibles en astrophysique, notamment le fabuleux livre d’ A. Acker : « Astronomie & Astrophysique » 20, la vitesse radiale peut ensuite être calculée grâce à ce redshift z, en utilisant l’équation de Doppler-Fizeau à laquelle on intègre l’effet relativiste, via la formule ci-dessous.
Par ailleurs, une fois cette Vitesse radiale calculée pour chacun des raies, il est ensuite possible de déduire la distance de la galaxie grâce à la constante de Hubble. En effet, cette dernière est une constante de proportionnalité qui relie la distance et la vitesse de récession des galaxies. 20,22
Données :
Vitesse de la lumière
c = 299 792,458 km.s-1
Constant de Hubble
H0 = 73,02 Mpc
1pc = 3,26.106 a.l
Correction héliocentrique (éloignement)
Corr. Helio = 17,7 km.s-1
Formules
Calcul de la vitesse radiale (Vr en km.s-1) 16
Calcul de la vitesse radiale incluant l’effet Relativiste utilisé dans cette étude (Vr en km.s-1) 16, 23
Calcul de la distance (D en a.l)
Résultats
Afin d’augmenter la précision des mesure, il est necéssaire d’appliquer une correction héliocentrique. En effet, il faut prendre en compte le déplacement de l’observateur dû au mouvement de la Terre autour du Soleil et autour de son propre axe au moment de l’acquisition des données 24. Il faut donc soustraire cette vitesse radiale (Corr. Helio en éloignement dans le cas présent), ce qui donne les résultats suivants :
-- Compte-rendu de l'étude -- z = 0,00075 Vitesse radiale = 208,3 +/- 53,1 km.s-1 Distance calculée à partir de Vr = 9,3 +/- 2,3 millions d' a.l.
Le spectroscope utilisé pour ces mesures, à savoir un Alpy60025, à une incertitude de +/- 50km.s-1. En regards des valeurs que l’on trouve en catalogue, on s’aperçoit que ces résultats sont compris dans l’incertitude de l’instrument et qu’il est possible d’approcher les valeurs professionnelles plus précises. En effet, le Centre de données astronomiques de Strasbourg donne une valeur de la Vitesse Radiale de M82 à 219 +/- 27 km.s-1 et le catalogue NED de la NASA donne lui une valeur de 203 +/- 4 km.s-1 ! 26, 27
Cela permet ainsi de montrer qu’il est possible, avec du matériel amateur de redécouvrir ou d’étudier de manière sérieuse les objets célestes, de pouvoir évaluer la distance d’une galaxie qui se trouve à 9,3 millions d’année lumières et qui s’éloigne à 208 km/s de, nous depuis son jardin … Passionnant !
Pour finir, voici une fiche reprenant l’étude entière en détaillant un peu plus les calculs, notamment l’incertitude des mesures.
Sources et informations complémentaires
Sources
1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Galaxie_%C3%A0_sursauts_de_formation_d%27%C3%A9toiles
2 https://www.aanda.org/articles/aa/abs/2008/24/aa09653-08/aa09653-08.html
3 https://fr.wikipedia.org/wiki/M82_(galaxie)
4 https://www.flickr.com/photos/nasahubble/36467813655/in/album-72157687169041265/?linkId=65875049
5 https://telescope.live/
6 https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_objets_du_New_General_Catalogue
7 https://indilib.org/
8 http://www.astrosurf.com/buil/isis-software.html
9 http://cdsportal.u-strasbg.fr/?target=HD89343
10 http://simbad.u-strasbg.fr/simbad/sim-basic?Ident=HD89343&submit=SIMBAD+search
11 https://fr.wikipedia.org/wiki/Type_spectral#Type_A
12 Walker, R. (2017). Spectral Atlas for Amateur Astronomers: A Guide to the Spectra of Astronomical Objects and Terrestrial Light Sources. Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/9781316694206 – ISBN13 9781107165908
13 http://david.elbaz3.free.fr/master_m2/z_master_m2/CoursGalaxiesElbaz_11_mesurer_la_formation_etoiles.pdf
14 https://fr.wikipedia.org/wiki/Raie_de_transition_interdite
15 https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9gion_HII#Caract%C3%A9ristiques_physiques
16 https://media4.obspm.fr/public/ressources_lu/pages_univers-lointain/redshift.html
17 https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Redshift.png
18 https://fr.wikipedia.org/wiki/Largeur_Doppler_d%27une_raie_spectrale
19 https://www.shelyak.com/mesurer-le-redshift-dune-galaxie/
20 Acker, A. (2013). Astronomie Astrophysique – 5e édition. Edition Dunod. ISBN13 978-2100576401
21 https://media4.obspm.fr/public/ressources_lu/pages_observation/bb-vitesse-etoiles.html
22 https://fr.wikipedia.org/wiki/Constante_de_Hubble
23 https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Doppler#Effet_Doppler-Fizeau_relativiste
24 http://www.astrosurf.com/buil/us/spe5/radv_fr.htm
25 https://www.shelyak.com/produit/alpy-600/
26 http://simbad.u-strasbg.fr/simbad/sim-id?Ident=M82
27 http://ned.ipac.caltech.edu/byname?objname=m82&hconst=67.8&omegam=0.308&omegav=0.692&wmap=4&corr_z=
28 http://o.garde.free.fr/RapportMissionCALAI-2016BD.pdf