Soleil : Analyse de son spectre

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Photographie du Soleil

Le soleil rythme nos journées et nos humeurs, pourtant nous avons tendance à oublier qu’une étoile remplie de secrets où règne le chaos siège à deux pas de chez nous ! 

Notre voisine lumineuse est donc une aubaine pour tout astronome, car s’il est un paramètre délicat à gérer en astronomie c’est bien la météo. Avoir un ciel clair et de qualité la nuit est loin d’être acquis. Ainsi, un des avantages d’avoir une étoile à proximité de chez soi est de pouvoir capter sa lumière le jour de tout temps. En effet, cette dernière traverse les nuages si la météo est mauvaise. Après avoir tenté une entrée en matière avec l’analyse spectrale de Véga à très basse résolution, poussons donc un peu les curseurs avec le Soleil !

Le problème de la météo capricieuse étant résolu, il reste tout de même une autre étape et pas des moindres, analyser plus finement la lumière qui nous parvient. Mais alors, comment faire pour analyser cette lumière ?


La spectroscopie

Plutôt que de tenter de vous expliquer ce qu’est la spectroscopie avec mes mots et tenter une énième explication peut-être incomplète, autant mettre en avant le travail de personnes qui l’ont déjà fait, et très bien fait ! 1, 2

Aussi, pour comprendre rapidement ce qu’est la spectroscopie, je ne saurai que vous conseiller cette vidéo récente particulièrement bien faite de la série « Chercheuses d’étoiles » par Le Monde.


Afin d’obtenir « le code barre » de notre étoile voisine, j’ai donc utilisé un spectroscope qui décompose la lumière qui traverse notre atmosphère. Le modèle du spectroscope est un Alpy 600 de la société Shelyak5 monté sur une caméra Atik monochrome pour pouvoir enregistrer le spectre obtenu.

Photographie du montage d'un spectroscope Alpy600 sur une lunette astronomique. Crédit image : Shelyak.com
Photographie du montage d’un spectroscope Alpy600 sur une lunette astronomique. Crédit image : Shelyak.com 5
Pour le spectre réalisé ci-dessous, le spectroscope a été utilisé seul, sans être installé sur un télescope ou une lunette.

Voici l’image brute enregistrée par la caméra, autrement dit le spectre 2D du Soleil. Le spectre s’étale de la gauche dans le bleu vers la droite dans le rouge.

Spectre 2D du Soleil monochrome - Alpy 600 - Stellartrip
Spectre 2D brut du Soleil monochrome

La capture se fait à l’aide d’une caméra CCD monochrome. Toutefois, à partir de cette image brute nous pouvons générer le même spectre en couleur.

Spectre 2D du Soleil couleur - Alpy 600 - Stellartrip
Spectre 2D brut du Soleil couleur

Une fois l’image traitée grâce au logiciel Demetra, j’obtiens le profil spectral du Soleil ci-dessous, à savoir son spectre 1D.

Profil spectral du Soleil
Profil spectral du Soleil

On identifie ainsi clairement plusieurs raies d’absorption. Parmi ces dernières, certaines sont caractéristiques du type spectral de notre étoile voisine, à savoir une étoile de type G2V. Nous reviendrons sur ce que l’on appelle le type spectral d’une étoile dans un prochain article. En attendant, voici un complément rapide de la vidéo précédente.


Type spectral
(petit interlude technique)

Représentation de la classification de Harvard.
Représentation de la classification de Harvard. 6
Comparaison entre le Soleil (type G2 V), la naine rouge Gliese 229A (type M1)3, les naines brunes Teide 1 (type M8), Gliese 229B (type T)3, et WISE 1828+2650 (type Y), et Jupiter (planète géante gazeuse).
Comparaison entre le Soleil (type G2V), la naine rouge Gliese 229A (type M1), les naines brunes Teide 1 (type M8), Gliese 229B (type T), et WISE 1828+2650 (type Y), et Jupiter (planète géante gazeuse).6


En astronomie, les étoiles présentent quatre caractéristiques principales : température de couleur, gravité à la surface, masse et luminosité. Ces caractéristiques ne sont pas indépendantes les unes des autres et ne sont pas directement mesurables. Cependant, elles permettent d’associer un type spectral à chaque étoile […]




Les étoiles de type G (ou naine jaune) sont les mieux connues, car le Soleil appartient à ce type. Elles possèdent des raies d’hydrogène encore plus faibles que celles de type F et des raies de métaux ionisés ou neutres. Les raies du Ca II H et K sont très prononcées. Le type G (…) est l’une des derniers où l’on distingue des raies moléculaires encore assez fortes (CH, CN, C2, OH).
Elles doivent d’ailleurs leur nom « G » à la molécule CH qui présente une forte absorption vers 430 nm identifiée par Fraunhofer par la lettre G. 6


L’image ci-après reprend le spectre du Soleil que j’ai acquis en indiquant les raies caractéristiques des étoiles de type G.

Profil spectral du Soleil avec indication des raies caractéristiques des étoiles G
Profil spectral du Soleil avec indication des raies caractéristiques des étoiles G

Analyse chimique

Détaillons donc maintenant les éléments qui composent notre proche voisine.

Profil spectral du Soleil avec indication des éléments chimiques caractéristiques des raies d'absorption.
Profil spectral du Soleil avec indication des éléments chimiques correspondants aux raies d’absorption.
Éléments chimiquesLongueurs d’onde (Å)
Ca II (K)3933,66
CA II (H)3968,47
4101,74
CA I4226,73
CH4299 – 4313
4340,47
Fe I4383,55
4861,33
Triplet Mg5167,2 / 5172,68 / 5183,36
Fe I5270
Fe I5328
Fe I5405
Doublet Na (D2 et D1)5889 / 5896
Telluric O2Raie propre à notre atmosphère
6562,82
Telluric O2Raie propre à notre atmosphère
Telluric H2ORaie propre à notre atmosphère
Longueurs d’onde des éléments chimiques affichées sur le profil spectral du Soleil (dans l’ordre d’affichage)4

On note ici des éléments intéressants qui constituent l’atmosphère du Soleil, à savoir plusieurs des raies de Fraunhofer12 comme :

  • Le doublet des raies H et K du Calcium ionisé à 3933 et 3968 Å. Associée à ces raies très prononcées du Calcium, on retrouve également la molécule CH avec une forte absorption caractéristique des étoiles de type G.
  • De plus, on notera la présence du triplet du Magnésium entre 5167 et 5183 Å et le doublet des raies du Sodium (D2 et D1) à 5889 et 5896 Å. Ici, la résolution du spectroscope est trop petite et ne permet pas de visualiser la séparation des raies du triplet Mg et du doublet Na.
  • On observe aussi très nettement les raies spectrales de la série de Balmer pour l’atome d’hydrogène (Hꭤ à Hδ). Cela nous renseigne donc sur la présence d’un des éléments constituants principaux du Soleil, à savoir l’hydrogène. Pour rappel, les raies de Balmer correspondent aux transitions d’états quantiques vers l’état de niveau n = 2 pour l’atome d’hydrogène. Ces dernières sont ici observables, car elles sont émises dans le visible.

« Un électron tend à occuper le niveau le plus proche du noyau.
Quand l’électron passe d’un niveau n a un niveau m plus proche du noyau, la différence d’énergie ΔE entre les deux niveaux est émise sous forme d’une onde lumineuse, de longueur égale à : λ = hc/Δ » 3


Série spectrale de Balmer pour l’atome d’Hydrogène. Crédit Stellartrip
Série spectrale de Balmer pour l’atome d’Hydrogène. Crédit Stellartrip

Ceci dit, on parle ici d’une émission d’une onde lumineuse due à la libération d’énergie, on aurait ainsi une raie en émission sur le spectre. Or dans notre cas, sur le Soleil, c’est l’inverse qui se passe. En effet, les étoiles sont considérées comme des sphères de gaz très chauds et comprimés. Cette source de lumière est cependant entourée d’une atmosphère gazeuse plus froide et moins dense. Les atomes du gaz entourant vont ainsi être excités par ce rayonnement continu et changer de niveau en captant l’énergie nécessaire et nous voyons de fait des raies d’absorption apparaître sur le spectre.3

Calcul de la température

Grâce à ce profil, il est également possible de déterminer la température de l’objet étudié ici qui se comporte comme un corps noir.



« En physique, un corps noir désigne un objet idéal qui absorbe parfaitement toute l’énergie électromagnétique (toute la lumière quelle que soit sa longueur d’onde) qu’il reçoit.




La loi de Planck décrit le spectre de ce rayonnement, qui dépend uniquement de la température de l’objet. La loi du déplacement de Wien détermine la fréquence de la luminance spectrale maximale, et la loi de Stefan-Boltzmann donne la densité de flux d’énergie émise, qui ne dépend elle aussi que de la température de l’objet. » 9

Courbes de rayonnement du corps noir à différentes températures selon l'équation de Planck (courbes en couleur) comparées à une courbe établie selon la théorie classique de Rayleigh-Jeans (courbe en noir).
Courbes de rayonnement du corps noir à différentes températures selon l’équation de Planck (courbes en couleur) comparées à une courbe établie selon la théorie classique de Rayleigh-Jeans (courbe en noir). 9

Vous pouvez d’ailleurs visualiser de manière dynamique les comportements des corps noirs en fonction de la température grâce à l’application de l’Université du Colorado ci-dessous.


C’est donc à partir de la loi de Planck et de la loi de Wien que nous allons pouvoir essayer de déterminer la température du Soleil en partant du spectre précédent. Pour cela j’ai utilisé le logiciel Visual Spec de Valérie Desnoux10, car ce dernier contient une fonction de calcul de profil de Planck automatique qui nous donne donc de fait la température.

Spectre du Soleil (bleu) avec profil de Planck du corps noir à 5700K (vert)
Spectre du Soleil (bleu) avec profil de Planck du corps noir à 5700K (vert)

Aussi, même si le logiciel nous donne la température, ce profil de Planck nous permet de facilement la calculer. En effet, nous avons dorénavant la longueur d’onde maximale (5084,46 Å). Il ne reste qu’à appliquer la loi de Wien pour trouver la température :


Loi de Wien

« La longueur d’onde λmax qui, dans le spectre d’un corps noir, correspond au maximum d’énergie, varie en raison inverse de la température T (en degrés Kelvin) » 3

λmax . T  =  2898 ( µm . K )  =  constante


La longueur d’onde maximale est ici de 5084.46 Å.

T = 2,898.10-3 / λmax

T = 2,898.10-3 / 5,08446.10-7
T ≅ 5700 K

Unités 
λmax en m
T en degrés Kelvin

Un résultat assez intéressant en comparaison de ce que l’on trouve dans la littérature, car la température de la surface du Soleil est indiquée à environ 5750 K3,7,8. La valeur retrouvée ici correspond bien au profil de Planck de notre étoile, dont l’émission maximale se fait dans le visible.


Conclusion


Pour conclure, avec cette rapide analyse somme toute modeste, nous avons pu redécouvrir certains aspects physiques et chimiques de notre compagnon quotidien en marchant sur les traces des pionniers du passé. Sonder les mystères de notre étoile dans son état présent s’avère passionnant, et il me tarde d’explorer d’autres astres pour vous le partager dans un futur proche…




Protocole d’acquisition 

Date et heure d’acquisition01 décembre 2019
14H00
Caméra d’acquisitionAtik 460Ex à -5°C
Binning 1×1
SpectroscopeAlpy 600
Fente de 23µm
Images et calibrationPose de 150 secondes de lumière
5 images de calibration ArNe 15 secondes
5 Flats 3 secondes
5 Darks de 150 secondes
5 Offsets
Informations et protocole d’acquisition qui ont permis la réalisation de ce spectre


Sources et informations complémentaires

Sources

1 Si vous souhaitez aller plus loin, je vous conseil également cette video-conférence particulièrement intéressante sur le sujet de Patrick Boissé, astrophysicien à l’IAP: Video-Conférence – La Spectroscopie : un formidable outil pour comprendre l’univers
2 Chercheuses d’étoiles – lemonde.fr
3 Acker, A. (2017). Astronomie Astrophysique, 5e édition. Dunod – ISBN-13 : 978-2100576401
4 Walker, R. (2017). Spectral Atlas for Amateur Astronomers: A Guide to the Spectra of Astronomical Objects and Terrestrial Light Sources. Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/9781316694206 – ISBN13 9781107165908
5 Shelyak.com
6 Wikipedia : Type Spectral
7 Service d’observation du Soleil – LESIA – Observatoire de Paris
8 Wikipedia : Soleil
9 Wikipedia : Corps noir
10 Visual Spec – Valérie Desnoux
11 Wikipedia : Série de Balmer
12 Wikipedia : Raies de Fraunhofer

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